Faire mûrir des bananes est facile – En faire le commerce ne l’est pas

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Commerce Équitable

Il y a de cela 35 ans, les femmes bananes ont apporté des bananes en Suisse pour la première fois. À l’époque, Beat Curau aurait adoré vendre des bananes vertes afin de contourner les mûrisseries. Mais ce n’était pas si simple.

Femmes bananières à Frauenfeld

Sur ces étals de marché, les femmes bananières parlaient aux gens des mauvaises conditions dans les plantations de bananes.

Beat Curau était aux premières loges lorsque les femmes bananes ont apporté des bananes du Nicaragua en Suisse pour la première fois en 1985. Nous avons discuté avec lui des défis qu’ils ont dû surmonter à l’époque.

Pourquoi vouliez-vous vendre des bananes du Nicaragua ?

Beat Curau : Lorsque les États-Unis ont imposé l’embargo, le Nicaragua a dû trouver un nouveau marché pour toute sa production du jour au lendemain. À cette époque, ils ont choisi l’Europe. Malheureusement, personne au Nicaragua n’avait la moindre idée de ce que cela impliquait. Par exemple, la route maritime était beaucoup plus longue que vers les États-Unis. En conséquence, une partie des bananes est arrivée en Belgique complètement endommagée et ne répondait pas aux normes européennes. Ces bananes ont par conséquent été liquidées à très bas prix en tant que marchandise de moindre qualité en Europe. C’est là que les femmes bananes ont vu leur chance : pour la première fois, pas de bananes Chiquita, mais des producteurs qu’elles pouvaient aider directement.

Comment en êtes-vous venu à vous impliquer ?

À l’époque, Ursula Brunner m’a appelé et m’a demandé si je pouvais l’aider. Nous nous connaissions depuis déjà quelques années et elle m’a invité à une réunion des femmes bananes à Frauenfeld. Ce soir-là, les femmes ont discuté de si et comment les bananes du Nicaragua pouvaient être commercialisées. Elles avaient déjà lancé une campagne ponctuelle avec OS3 (l’organisation qui est devenue Claro Fair Trade) et vendu une cargaison de bananes en Suisse. Cette action s’est avérée un tel succès qu’elles ont souhaité continuer sur cette voie. Nous avons fondé conjointement la « Communauté de travail pour un commerce équitable des bananes » (en allemand « Arbeitsgemeinschaft GErechter BANAnenhandel »), ou gebana pour faire court, puis nous avons approché les mûrisseries et les magasins.

Quels ont été les plus gros défis ?

La première étape a été de trouver un revendeur en Belgique qui nous vendrait de petites quantités de bananes, car nous ne pouvions pas gérer une cargaison entière. Les bananes devaient ensuite être transportées en Suisse, mûries ici, livrées aux magasins et finalement revendues aux clients finaux. Nous avons dû construire toute la chaîne d’approvisionnement, un énorme défi pour une organisation à but non lucratif comme nous l’étions à l’époque.

Un défi que vous avez surmonté.

Eh bien, il y a toujours eu des revers, car la qualité ou la disponibilité à livrer, le prix ou l’expédition ne fonctionnaient pas. Nous avons quand même continué, parce qu’il était clair pour nous que si nous mangeons des bananes, les producteurs doivent obtenir un prix décent. Pas Chiquita, mais bien les gens qui font pousser les bananes.

Comment avez-vous résolu le problème de mûrissement des bananes ?

Au début, nous n’avons trouvé que deux petites mûrisseries en Suisse qui étaient disposées à collaborer avec nous . Nous avons travaillé avec les deux pendant quelques années. Elles achetaient une certaine quantité de bananes directement du bateau, les faisaient mûrir et les revendaient aux rares magasins convaincus par toute la campagne. Au départ, il s’agissait principalement d’épiceries de quartiers et de petits magasins bio. En raison des petites quantités, tout était très difficile. Nous devions toujours voir comment les magasins allaient finalement obtenir leurs bananes et nous assurer que les prix avaient du sens.

On dirait quand même que vous aviez ultimement la situation sous contrôle.

Oui et non. Nous avons remarqué que l’une des mûrisseries ne travaillait pas comme nous l’avions convenu ensemble. Elle a vendu des bananes du Nicaragua sans nos autocollants de commerce équitable gebana. Avec l’autocollant, les bananes coûtent 15 centimes de plus par kilo, une prime qui nous a permis de financer des projets dans la région d’origine.

L’association gebana a alors eu l’occasion d’être fournisseur pour Volg. Les deux mûrisseries ont-elles réussi à gérer les nouvelles quantités ?

Non, nous avons dû changer de mûrisserie. La meilleure et la plus grande se trouvait à Bâle. J’avais appris que celle-ci venait tout juste de terminer son contrat exclusif avec Chiquita. Les femmes bananes m’ont nommé « directeur général de gebana » et je suis m’y suis rendu à ce titre pour parler de directeur général à directeur général. Nous nous sommes bien entendus tout de suite et la mûrisserie a commencé à faire mûrir nos bananes. Comme il s’agissait d’une grande usine de maturation professionnelle, celle-ci a livré d’excellents résultats. Et tant que Volg commandait plusieurs milliers de boîtes par semaine, les défis du transport et de la qualité étaient beaucoup plus faciles à résoudre. Mais le tout n’a duré qu’un an et demi environ, puisque notre producteur indépendant de bananes ne pouvait plus se permettre d’exporter vers l’Europe. À cette époque, il ne s’agissait d’ailleurs déjà plus des bananes du Nicaragua, mais de celles du Costa Rica.

Quel était le problème ?

Les petits producteurs indépendants étaient là, mais ils n’avaient pas la force nécessaire pour construire un marché en Europe. Ils n’ont jamais pu fournir de bananes à Migros et à Coop, et sont toujours restés dans l’ombre de Chiquita et de Del Monte.

Pourquoi n’avez-vous pas tout simplement vendu les bananes vertes ?

Nous y avons pensé en fait. Nous voulions voir ce qui allait se passer avec les bananes vertes à la maison. Nous savions déjà que’en ajoutant quelques pommes, on obtient de l’éthylène gratuit. Mais comment distribuer les bananes vertes ? Nous ne pouvions pas les vendre dans les magasins et la livraison à domicile n’était pas logistiquement possible à l’époque. Tout est différent aujourd’hui. Les gens y sont habitués et la poste peut transporter de la nourriture. La qualité des bananes était un autre gros problème. Même les mûrisseries n’arrêtaient pas de nous dire qu’elles ne pouvaient plus faire mûrir les bananes. La branche de certains fruits pourrissait déjà, même si le processus de maturation n’avait pas encore commencé. D’autres étaient déjà trop mûrs à leur arrivée en Europe.

Qu’avez-vous fait des bananes trop mûres ?

Nous avons fait sécher les bananes brunes et mûres, les avons fait emballer à la chartreuse d’Ittingen et les avons vendues dans les magasins de produits internationaux. Nous avons également expérimenté avec la purée de banane et la glace à la banane. De cette façon, nous avons pu acheter des produits auprès des mûrisseries, surtout pendant les mois d’été, car ils leur restaient souvent des boîtes.

Est-ce que vous-même commanderiez des bananes vertes aujourd’hui ?

Certainement ! Le processus est tellement simple. Je n’ai pas besoin d’une salle de maturation professionnelle avec fumigation et chauffage. Je n’ai pas non plus besoin de bananes jaunes. Je les préfère même lorsque des taches brunes apparaissent, qui sont des taches de sucre. Mais bien sûr, c’est une question de goût. Certaines personnes aiment les bananes si vertes qu’elles ont presque le goût d’une pomme de terre.

Beat Curau

Encore adolescent, Beat Curau a rencontré Ursula Brunner et les femmes bananes. À partir de 1985, Curau a aidé ces dernières avec l’importation et la vente de bananes du Nicaragua, entre autres.

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